L’accompagnement Professionnel Personnalisé des processus de construction identitaire : l’apport de la Gestalt – Par Claudia Gaulé

L’accompagnement Professionnel Personnalisé des processus de construction identitaire : l’apport de la Gestalt – par Claudia Gaulé.

Conférence du 28 Mai 2011

 

Concepts clés et histoire

La Gestalt propose une vision holistique de l’homme (1). Elle est née dans l’effervescence culturelle du début du siècle. La construction de l’identité de ce courant est fidèle à sa représentation de ce qu’est la construction identitaire de l’être humain, puisqu’elle s’est développée en réaction, en opposition ou en assimilation des différentes sources du moment, la psychanalyse, la Gestalt-psychologie, la phénoménologie, l’existentialisme….

En effet la Gestalt ne se préoccupe pas de la notion de « psyché » et situe donc la construction de l’individu dans son rapport à son environnement ; elle considère l’indissociabilité moi/monde, ce qui pousse à travailler non pas sur une réalité objective du monde et de l’individu, mais sur la perception subjective et les phénomènes d’influence, d’impacts réciproques de l’un sur l’autre.

Cela nous permet d’affirmer en tant que gestaltistes, dans une perspective phénoménologue, que l’être humain n’a pas d’existence en dehors du contact. Le contact n’est donc pas à confondre avec le lien ou avec la relation, mais représente bien tous les phénomènes parlant de la rencontre entre un organisme et un environnement dans le moment présent.

La Gestalt n’est pas une thérapie, c’est une posture, une vision du monde, une façon d’appréhender l’être humain et la transformation. Cette posture peut être appliquée dans toute forme de métier mais c’est avant tout une posture de vie, ce qui amène Serge Ginger (2) à la définir comme un art du contact. Le mot allemand Gestalt signifie la forme, la figure. La Gestalt se préoccupe de ce qui prend forme, de ce qui s’organise, se structure dans l’instant du contact entre une personne et son environnement.

Le pionnier du mouvement gestaltiste est Frederich Perls (1893-1970), qui a d’abord été psychiatre et psychanalyste avant de développer ses idées personnelles. Il est accompagné dans ses recherches par des leaders comme Laura Perls (sa femme) ou Paul Goodman qui ont tous en commun d’être des rebelles, dans le refus de l’ordre institutionnel de l’époque. La collaboration de Goodman, écrivain, enseignant et philosophe, anarchiste libertaire va donner à la Gestalt sa couleur avant-gardiste. En effet la Gestalt propose une intervention qui sortirait de la représentation individualiste de l’être humain pour aborder la question de « l’homme dans le monde », de « l’être au monde », impliquant un ajustement créateur permanent entre un organisme capable d’action et un environnement réceptif, et dans l’indissociabilité énoncée plus haut.

 

 

 

Des postulats

Voici des postulats portés par la Gestalt :

  • L’être humain n’a pas d’existence en dehors du contact ;
  • Il n’y a pas de structure type de l’individu ;
  • Seul l’instant est considéré : il n’y a pas de passé, pas de futur ;
  • La croissance, la transformation d’une personne ne surviennent que dans le contact avec l’environnement ;
  • L’agressivité est indispensable à la croissance ;
  • Les sensations corporelles et les émotions prennent une large part dans une action réussie ;
  • La réalité ne s’analyse ou ne s’interprète pas, elle se vit de façon subjective.

Ces postulats méritent quelques explications.

La phénoménologie nous invite à considérer la séparation illusoire qui existe entre l’objectivité et la subjectivité. Ce que j’appelle la réalité est en fait uniquement ce que j’en perçois. Si deux amis se rendent ensemble à la même soirée, le premier n’ayant pas mangé depuis deux jours et le second traversant depuis longtemps un désert affectif, leur compte-rendu de la même scène fera apparaître deux réalités totalement différentes. Le premier parlera de la générosité des hôtes au regard de l’abondance des mets et de la diversité des cocktails. Il jurera ses grands dieux qu’il n’y avait presque personne dans la salle ; le deuxième se lamentera sur la trop grande foule de rivaux qui l’ont encore empêché d’avoir accès aux femmes convoitées et ne se rappellera pas qu’il y avait un buffet dans cette soirée. Nous ne pouvons donc travailler uniquement qu’à partir de la perception du monde partagée et commentée ensemble sans prétendre à la possibilité de l’interpréter.

Ce que nous considérons comme le passé est en fait une émergence d’un passé-souvenu là aussi très subjectif car il n’y a rien de plus changeant et mobile que le souvenir. Le « futur » est une projection de nos désirs ou inquiétudes dans l’avenir et ce sont ces actualisations qui colorent notre façon d’être-au-monde dans l’ici et maintenant. En Gestalt on ne travaille donc pas dans une recherche de causalité des évènements qui suppose une représentation linéaire du temps. Nous préférons considérer que tout a lieu dans le moment vécu, et c’est dans cet espace-temps que nous localisons la transformation. La remémoration comme l’anticipation se vivant dans le présent, l’être humain réunit donc tous les âges dans le moment présent. C’est l’attention au processus en cours qui nous permet de remarquer les dysfonctionnements de contact. Ces dysfonctionnements sont en partie le résultat de ces représentations erronées du monde qui résultent de l’actualisation d’expériences passées ou de projections dans le futur de nos craintes ou certitudes. C’est donc en détruisant et en reconstruisant notre rapport au monde en cours que la transformation adviendra.

L’agressivité a donc une place centrale en Gestalt. L’agressivité dans son sens étymologique qui signifie « aller vers ». Ce mouvement est considéré comme le mouvement de base et inhérent à tout organisme vivant. La destruction est vécue, à l’image de la mastication, comme l’opération nécessaire pour s’approprier et faire sienne toute expérience. Je dois détruire les idées apprises pendant un apprentissage pour pouvoir les assimiler et créer une connaissance intime et unique de la matière enseignée. La destruction est donc le ferment de la créativité.

On commence à comprendre qu’on ne peut pas travailler en Gestalt avec une représentation intrapsychique de l’individu qui entraîne une conception structurée de l’interne. En Gestalt c’est la rencontre qui est le matériel du travail, elle est donc unique et c’est la mobilité, la fluidité nécessaire à cette rencontre constamment renouvelée qui est notre critère de santé. L’enrichissement des capacités d’ajustement, une représentation de soi intégrant des forces opposées, des réactions contradictoires, des possibles à 180 degrés sont les composants d’un « mode personnalité » riche. La notion de « personnalité » est trop fixe, trop stable, suppose la recherche de traits reconnaissables donc caractéristiques qui sont plutôt le reflet d’une fixité, d’une immobilité pour le gestaltiste. Le mode personnalité est l’hypothèse de ce que l’on est et nous avons intérêt à avoir une large palette d’hypothèses pour créer des ajustements à un monde de plus en plus mobile.

 

La Gestalt, posture transformatrice des entreprises

Aujourd’hui, de nombreux intervenants en entreprise (coach, consultants, formateurs) et de nombreux managers, maîtrisent cette posture et l’utilisent pour transformer leur relation avec l’environnement et ainsi l’environnement lui-même. Cette transformation peut être générée par 2 facteurs particuliers, caractéristiques de la posture gestaltiste.

  1. La place accordée au ressenti émotionnel.

Par ressenti émotionnel, nous entendons, les éprouvés ou sentiments du type, « j’appréhende, j’ai envie, je suis fermement opposé à, cette idée me donne envie de me mobiliser, je suis en colère contre, j’aime cette proposition ». Ces émotions sont à l’origine de nos comportements et au cœur de notre action qu’elles conditionnent ; il est donc fondamental de prendre conscience de ces ressentis, et de les intégrer dans notre processus d’engagement et donc d’action. Ce « phénomène » est tout particulièrement regardé en Gestalt à travers, ce que nous appelons, le cycle du contact :

  • Le pré-contact : vide fertile à émergence de ressentis à identification à choix d’expression (ou pas) à
  • Le plein contact / action à
  • Le post-contact à retrait à

Dans les entreprises, l’expression de ces ressentis est rare ou insuffisamment « gérée «  (conscience, réel choix d’expression). Il s’agit pour nous gestaltistes de réhabiliter la place accordée à ces ressentis et d’une manière plus générale de renforcer le temps du pré-contact par rapport au temps de l’action elle-même : une plus grande pertinence et efficacité de ses actions en est l’enjeu.

  1. Le travail à la frontière organisme environnement

Par essence, la Gestalt est intéressée par ce qui se passe entre l’organisme et son environnement, c’est-à-dire, dans le cadre d’un coaching, entre un manager et son service, ses clients, son responsable… Le coach gestaltiste va accompagner son client dans un ajustement créatif (faire du nouveau) entre lui et son environnement (à la frontière contact), en remettant en cause simultanément sa propre manière d’être, mais aussi son environnement.

Citons le cas de ce manager dans une structure en bouleversement qui acceptait, sans discuter, tous les nouveaux objectifs qui lui étaient confiés, avec des conséquences sérieuses sur son état psychique, jusqu’au jour, où il a peu confronter sa hiérarchie sur les conditions de ces nouveaux objectifs. Ce travail à la frontière-contact va permettre d’adresser des introjects (les « il faut que … tu ne dois pas … » non mâchés du type « il ne faut pas confronter la hiérarchie ») et ainsi introduire du nouveau dans l’environnement. Dans ce sens, nous pouvons dire que la posture Gestalt est subversive (remise en cause d’un système établi). Vous en conviendrez, ce type de travail est fondamentalement différent de celui qui pourrait conduire un client à s’adapter à son environnement sans remettre en cause celui-ci (dans notre cas, prendre du repos, des cours de yoga … même si des solutions de ce type ne sont pas à exclure bien sûr !!).

Le travail à la frontière organisme / environnement peut prendre une forme particulière dans la structure de travail des coachings individuels. Ainsi, le coach gestaltiste, dans son contrat d’accompagnement individuel, précise que la structure de travail (face à face), peut évoluer, et impliquer ainsi, par exemple, le hiérarchique ou un collègue ; concrètement faire une ou plusieurs séances de travail et ainsi remettre en cause la relation organisme / environnement.

 

 

 

La dimension corporelle dans l’accompagnement

« Le corps est le fond de l’expérience ». Toute action entreprise, quelle que soit sa complexité, engage notre corps. Nous sommes notre corps, nous sommes nos sensations qui vont donner des émotions lorsqu’il s’agira de communiquer avec l’environnement. Les habitudes de notre monde moderne et occidental est de mettre ce corps de côté pour pouvoir « penser librement ». Les sensations et les émotions sont devenues des poids dont il faut se libérer pour mener des actions efficaces. Nous tendons donc vers une représentation clivée de l’être humain, corps /esprit, psyché/soma. Dans la perspective holistique annoncée dès le début de cet article, la Gestalt propose une réunification, une réintégration du corps, non pas pour avoir un corps, mais pour être son corps. Un travail dans l’inter corporalité est donc proposé dans lequel le client et le praticien, quel que soit son métier, sont engagés, impliqués de la même façon. C’est pour cela que le Gestaltiste partage ses éprouvés autant qu’il sollicite ceux du client. L’éprouvé de la situation rend compte autant de la situation que les idées à ce propos. Il n’est pas plus d’objectivité à penser qu’à ressentir et c’est la réunion du mental et du sensoriel qui rend le mieux compte de l’expérience en cours.

La dimension corporelle est prise en compte selon 2 modalités :

L’observation corporelle. Elle est permanente chez les gestaltistes, que ce soit la respiration, la posture, les micro-gestes, la voix et son rythme etc. Nous considérons que ces manifestations corporelles peuvent être révélatrices d’un processus en cours et traduisent une forme d’expression du client.

La mobilisation corporelle. L’accompagnant gestaltiste utilise la mobilisation corporelle afin de favoriser l’expression des émotions et permettre de travailler dans le présent, plutôt que de parler sur un événement passé ; la parole peut s’égarer dans l’ailleurs et l’avant.

Cette mobilisation peut se faire selon 2 pratiques :

  • du corps à la parole, qui consiste à observer et prendre en compte un phénomène corporel et ensuite soutenir le client pour qu’il puisse mettre des mots et des ressentis ;
  • ou des paroles au corps qui, à partir d’idées, de mots exprimés par le client, va consister à mettre en situation corporelle le sujet évoqué.

La mobilisation corporelle pose la question du toucher et bien sûr les questions d’éthique et de déontologie qui sont incontournables. Mais relevons que pour les gestaltistes, le toucher entre l’accompagnant et son client peut favoriser un accroissement de l’awareness corporel, souligner une tension, un mouvement saccadé …

Et sur ce sujet et sur sa dimension humaine, nous citerons Laura Perls : « « Il me semble y avoir une grande divergence d’opinions et beaucoup d’anxiété au sujet de l’acceptabilité du contact physique en thérapie. Si nous voulons aider nos patients à se réaliser pleinement comme être humains véritables, nous devons nous-mêmes avoir le courage de prendre le risque d’être humains. »

 

 

Dans tous les cas d’un travail corporel, l’accompagnant gestaltiste ne propose pas d’interprétation et n’interroge pas son client sur le sens de cette expression corporelle.

En Gestalt, il n’y a pas d’obligation de mobilisation corporelle car nous possédons d’autres atouts : l’approche phénoménologique, le repérage des perturbations du cycle du contact, l’awareness du processus en cours. Mais il s’agit de donner à la dimension corporelle sa juste place, sans glorification, ni dévalorisation.

 

 

Pour une conclusion …

 

Les entreprises rencontrent aujourd’hui des situations où prédominent la complexité et l’indéterminé, le mode de fonctionnement transversal (projet, réseau, matriciel), la multiplication des sources de pouvoir, l’antagonisme homme / résultats : Trouver des solutions réellement nouvelles apparaît difficile. Face à ces situations, la capacité de contact devient critique et la Gestalt, par sa manière d’appréhender et de valoriser l’être humain, et de conduire la transformation, offre une opportunité fantastique pour relever ces défis. C’est par le changement du rapport au monde que, peut-être le monde et les entreprises changeront … vers quoi ? Nous ne le savons pas !

 

Claudia GAULE

Daniel CORTESI

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1 – « … ce qui signifie que la Gestalt prend en compte l’organisme total et pas simplement la voix, le verbe, l’action ou quoi que ce soit d’autre » Laura Perls, interviewée par Edward Roesenfeld in the Gestalt Journal 1978

2 – Serge Ginger, fondateur de l’Ecole Parisienne de Gestalt et auteur de nombreux ouvrages dont, « La Gestalt, une thérapie du contact »

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